Couples franco-japonais: ce qu’il vaut mieux savoir…

(Article écrit par Pascal)
Dans cet article, je parle uniquement des couples franco-japonais dans le sens homme français et femme japonaise. La raison est que je connais très bien une bonne quinzaine de couples dans ce cas, mais je ne connais pas de couples dont le mari est japonais et la femme française.
Du moins, je ne les connais pas suffisamment pour savoir dans quelle mesure leur couple est soumis aux turbulences du choc culturel et connaître leurs difficultés.
Toutefois, sans avoir de statistiques sous la main, le couple homme japonais + femme française semble beaucoup moins fréquent que le contraire, conséquence de quoi ce que je vais décrire a des chances de ressembler à la majorité des cas.

Je pars donc du principe que vous êtes un homme français ou une femme japonaise, que vous n’avez jamais vécu au Japon ou en France assez longtemps pour en connaître suffisamment la culture. Nous allons d’abord planter le décor:
Vous êtes célibataire et vous venez de rencontrer la personne de vos rêves. Vous, Monsieur êtes en voyage au Japon ou bien vous Mademoiselle êtes en voyage en France ou vous êtes tous deux en voyage ailleurs, ou encore vous vous êtes rencontrés par les petites annonces de france-japon, pourquoi pas. Vous aimez le Japon, du moins vous aimez l’image que vous en avez par les livres et les reportages (image souvent complètement satirique, voire carrément fausse, d’ailleurs). Bref, vous envisagez sérieusement de valider l’option «et plus si affinités». Voici quelques «tuyaux» qui, je l’espère, vous éviteront de désagréables surprises.

Les soirées entre amis
Si vous comptez sortir votre Belle dans des soirées entre amis, il est possible qu’elle s’y ennuie à mourir. Tous les couples franco-japonais que je connais ici en ont fait l’expérience. Je dis bien: tous, et c’est ce qui me fait penser que c’est fréquent (je n’y ai d’ailleurs pas échappé au début).

En France, quand on sort sa nouvelle conquête pour la première fois chez des amis, elle s’intègre vite: pas de barrière de langage ni de coutume, même humour, etc… Elle discute, rit avec tout le monde, ouais, bon, là aussi il peut y avoir des exceptions…

Une Japonaise, par contre, s’intégrera moins bien. D’abord elle n’est pas habituée aux interminables repas. Elle calera après les entrées et ne fera que regarder passer les plats. Elle n’est pas habituée à l’humour, il faut lui expliquer les blagues, et même après l’explication elle ne voit pas ce qu’il y a de marrant. En plus, expliquer quand on n’a pas forcément le vocabulaire idoine pour le faire, ça devient vite pénible et soit on prend du retard sur les blagues à traduire, soit on «décroche» de la traduction et on rit avec les autres devant la demoiselle qui ne pige rien. Dans tous les cas, quel que soit votre aptitude à parler le Japonais, sachez que l’interprétariat en temps réel, même à jeun, est exténuant. Alors au milieu de vos amis, après 3 apéros, 2 verres de Pouilly Fuissé pendant les entrées, n verres de Nuits-Saint-Georges, m verres de Morgon et p verres de Pauillac, je puis vous assurer que, quels que soient n, m et p, les explications et traductions vont commencer à vous peser, que votre détermination va prendre de la gîte et la nef de vos illusions donner de la bande.

Et même si elle parle un français irréprochable, elle ne comprend pas forcément l’argot, alors si elle capte quedale à la jacte, vous mordez la situasse, hein?

Et même si elle comprend bien l’argot, il y a des blagues tellement ancrées dans la culture…

Dans le meilleur des cas, si quelqu’un de pas trop ivre s’intéresse à elle et lui parle, tout se passe bien tant que leur conversation continue. Combien de temps peut-on espérer? Une heure? Mais il reste 7 heures avant la soupe à l’oignon du petit matin… Mais c’est rarissime dans les soirées entre amis que quelqu’un s’intéresse à votre compagne au point de lui faire la conversation durablement (à moins qu’il vous la drague, évidemment). Et si par miracle ça se produit, la conversation prend un tour sérieux, et l’autre personne ne s’amuse pas… Ou alors vous faites la conversation vous même, et vous vous coupez de vos amis.

Chose à éviter: si ce sont des amis de longue date, éviter à tout prix les anecdotes d’un passé commun, le genre:

« … il était bourré, y s’bute dans une chaise pliante avec son verre de whisky à la main, y tombe en costar dans la piscine avec la chaise pliante. On le repêche, y tenait toujours son verre, mais plus de whisky, son verre d’eau de piscine, quoi, et la chaise pliante sous l’autre bras. Y boit un coup d’eau de piscine, sort une clope toute trempée et y’m’dit très sérieux: T’as pas du feu? … »

Ça fera rire aux éclats tous ceux qui étaient là, ça fera rire par sympathie ceux qui n’étaient pas là mais qui pigent le comique de la saynète, mais je gagerais que ça ne fera pas rire la demoiselle. Pas forcément. Ou alors ça la fera rire une fois, mais après plusieurs anecdotes croustillantes, ça la fera bailler comme nous avons tous baillé quand nos pères et oncles ressortaient les histoires de régiment à table, les Dimanches après midi pluvieux, entre le fromage et la tarte.

L’attitude pour la conversation est d’autre part fondamentalement différente. Le Français cherche à parler de ce qui l’intéresse, alors que le Japonais cherche à savoir ce qui intéresse son interlocuteur. Ce n’est certainement pas absolu, mais je pense que l’idée générale est fondée.

Une autre chose diversement appréciée de part et d’autre:

En France, quand on a plaisir à être ensemble, le dernier train ou même seulement l’heure tardive ne sont pas des arguments valables pour partir. Nous sommes du genre: file nous un coussin, on va dormir sur la moquette. Et la petite fête continue jusqu’à l’aube. Si vous voyez que la demoiselle s’ennuie, rentrez. Si vous lui demandez, et qu’elle répond «on reste encore un peu», sachez que le «encore un peu» signifie que vous avez juste le temps de dire au revoir à tout le monde ou guère plus. Prévoyez aussi des remarques de vos amis: Ben t’es pas bien chez nous, on n’est plus de ton monde, dis le! D’où les cas typiques:

– Rejet de la demoiselle qui n’aura pas envie de vous suivre à toutes les soirées et vous dira vite d’y aller seul;

– Frustration pour vous chaque fois que vous devez quitter une soirée qui démarrait du tonnerre;

– Perplexité de vos amis quand la fois d’après vous venez seul, difficultés de les convaincre qu’il n’y a aucun problème et qu’ils ne s’inquiètent pas pour vous ni pour elle. Quoi que vous fassiez, si on vous invite tous les deux et que vous venez seul, vous serez obligé d’expliquer parce qu’en France, si on se déplace seul, c’est qu’il y a vraiment de l’eau dans le gaz, que c’est très grave, alors qu’au Japon, pas du tout.

Voilà. Encore une fois, il peut y avoir des exceptions et ce que j’ai écrit ne s’applique certainement pas à tous les cas. Mais il vaut mieux en être conscient pour mener à bien les projets de drague tout en évitant les surprises. tout sera affaire de compromis et de concessions. Si vous savez faire des concessions, en avant toute et vivez heureux. Rassurez-vous, ça peut marcher, et je vous le dis en connaissance de cause.

Les enfants
Si vous avez évité les premiers obstacles de la différence de culture avec succès et pensez vous reproduire, il reste une chose à savoir. Plusieurs choses à savoir, en fait, mais je ferai l’hypothèse qu’on vous a déjà expliqué pour les abeilles et les fleurs. Au Japon, les mères dorment avec leurs enfants. Le mari peut éventuellement dormir avec tout le monde, mais ce n’est pas général, loin s’en faut. Souvent, le mari a sa chambre bien à lui, et la femme dort avec les enfants.

Pour un Français, par contre, il est nécessaire de prévoir une chambre pour le bébé, avec un lit de bébé bien distinct du lit des parents. Pour un Français, aussi, il est nécessaire de dormir avec Madame. Si on ne dort pas ensemble, c’est ressenti un peu comme j’écrivais plus haut, pour le fait de sortir seul: c’est en général qu’il y a de l’eau dans le gaz. En France, faire chambre à part est assez rare. Je n’ai pas non plus de statistiques, il est vrai.

La façon de faire vis à vis des enfants est si différente que ce peut être un sujet de discorde, et il vaut mieux ne pas sous-estimer l’obstacle. Il est difficile et même impossible de dire quelle est la façon «juste». Il n’y a pas de façon juste d’élever un enfant, il y a juste plusieurs façons.

J’aimerais maintenant témoigner de mon expérience personnelle. Soyons clairs, je ne dis pas que mon expérience est meilleure, c’est juste un témoignage.

Lorsque notre fils est né, nous aurions pu lui donner une chambre puisque nous habitions un 3 pièces dans la banlieue de Tokyo. J’étais un peu réticent à l’idée que nous dormirions tous ensemble, inquiet à l’idée d’une rupture de la vie de couple. Mais avec le recul, je me suis aperçu des nombreux aspects positifs de cette façon de faire. Je citerais parmi les avantages:

– L’enfant dort à côté de sa mère. Il n’a donc jamais peur la nuit puisqu’il sent une présence rassurante et pleure rarement.

– S’il se met à pleurer, c’est qu’il a faim. Sa maman le prend contre elle sans avoir besoin de se lever ni même d’allumer la lumière. Il tète, puis s’endort sans transition. Ceci suppose l’allaitement, évidemment. Madame ne se réveille même pas et fait tout d’instinct sans débrancher le pilotage automatique.

– Pour vous monsieur: l’homme moderne se doit de participer aux efforts, et en particulier de chauffer le biberon quand c’est nécessaire. Si le bébé dort près de sa mère, vous n’aurez même pas à vous réveiller, pas de coups de coudes dans les côtes pour entendre «c’est ton tour d’y aller» vous n’aurez pas à dire de vilaines choses de la Madone en vous butant le petit orteil contre un pied de chaise. Pas de biberon à chauffer dans un état semi-comateux et ni Monsieur, ni madame n’auront une tronche de déterré en rupture de catafalque le lendemain matin.

– Le fait que l’enfant tète souvent même la nuit stimule la lactation. Vous serez tranquille plus longtemps en tournant à 100% au lait maternel (5 mois pour nous). Pas besoin d’emmener 200 kg de matériel à chaque déplacement, Madame a tout sur elle, prêt à servir à la bonne température. Alea lacta est! Lait en poudre? On n’a jamais fini la 2ème boîte, il n’en voulait pas. Chauffe-biberon? Intégré à Madame, garanti à vie. Un an de lait gratuit!

– Ne craignez surtout pas d’écraser le bébé en vous retournant la nuit: ça n’arrivera pas. Le seul animal connu pour ça est le mâle de l’éléphant de mer. Je n’ai jamais entendu parler d’un cas pareil pour des humains et j’ai très peu d’éléphants de mer dans mes relations, même mâles.

– Ne craignez rien non plus pour votre vie de couple. Une fois que le bébé dort, vous pouvez faire n’importe quoi à côté, il n’entendra rien, ne verra rien, ne dira rien (mizaru, iwazaru, kikazaru) même si vous faites Tarzan avec le lustre, même si Madame crie son bonheur. Aucun problème donc les soirs de grandes manoeuvres ni d’ailleurs pour le petit coup du matin qui n’arrête pas le pèlerin. De toute façon, même s’il a sa chambre, il est possible qu’il entre dans la vôtre quand vous jouez à papa-maman.

Jusqu’à quand cela doit-il durer? Vous saurez vous-même quand il faudra arrêter et le mettre dans sa chambre à lui. Probablement avant qu’il ait 25 ans.

Est-ce que c’est bon psychologiquement? C’est une question à laquelle je ne saurais répondre, n’étant pas spécialiste de la chose. En tout cas, mon gamin semble équilibré, bien intégré dans son école et à l’aise dans la vie, comme tous ses petits copains, d’ailleurs. Il a dormi dans un petit futon à côté de nous, côté Maman, jusqu’à 5 ans, et n’a quasiment plus voulu dormir avec nous le jour où je lui ai construit un lit surélevé, avec un petit bureau dessous. C’est aussi simple que ça, les gosses, faut les avoir à la ruse. Il vient de temps en temps faire un gros câlin le matin, mais c’est de bonne guerre.

Les sites internet qui parlent des enfants qui dorment avec leurs parents font état de troubles psychologiques graves. Mais au Japon, il n’y a apparemment pas plus de gens avec des troubles graves que partout ailleurs. Je crois donc que l’argument est complètement infondé et partial, du type «je fais comme ça, donc tous les autres ont tort». Je n’ai pas trouvé d’information sur ce sujet sur des sites japonais, mais les Japonais ne se posent certainement pas la question de savoir si c’est bien ou pas, puisque c’est la norme ici.

Je répète au passage que je ne dis pas qu’il est meilleur de dormir avec les enfants. Je dis simplement que je l’ai fait, et que je ne pense pas lui avoir causé aucun déséquilibre. Et si c’était à refaire, je referais de la même manière, sans les réticences du début, cette fois.

Dans notre cas, c’était d’ailleurs un compromis. Ensemble à la Française, avec le gamin près de Maman, à la Japonaise.

Se connaître mutuellement
Avent de finir, je conseillerais à ceux qui seraient attirés par un personne de l’autre sexe (ou du même sexe, pourquoi pas) et de l’autre culture, de vivre quelques années dans le pays de votre bien-aimé(e). Apprendre la langue est un gros atout puisque les liens entre la langue et la culture sont forts. Au besoin, faites le match retour dans l’autre pays pour que chacun connaisse bien le pays de son conjoint. Il y a énormément de chose qu’on ne penserait pas à expliquer. Pour reprendre l’exemple ci-dessus, un Français ne penserait jamais à expliquer qu’en France, les enfants ont une chambre indépendante dès la naissance.

Pratiquez les deux langues (Français et Japonais) plutôt que d’utiliser l’Anglais. En passant par l’Anglais, il y a plus d’imprécision parce que la différence entre ce que vous voulez dire et ce que vous dites réellement s’ajoute à la différence entre ce que vous dites et ce que votre partenaire comprend.

Voilà, ça fait déjà beaucoup pour une première troussée. J’en retartinerai une tranche si je retrouve quelque chose à dire. J’espère que ces conseils pourront vous éviter bien des soucis ou du moins de savoir où sont les difficultés. Comme on dit, un homme averti vaut mieux que deux «Tu l’auras».

En attendant, bonne chance dans vos galantes entreprises.

Pascal, 1er Juillet 2003

Publié par

Christian Bouthier

Christian Bouthier, un Français au Japon depuis 1982. フランス語講師 et professeur de japonais.

2 réflexions au sujet de « Couples franco-japonais: ce qu’il vaut mieux savoir… »

  1. Bonjour,

    Je m’appelle Olivia et suis journaliste pour l’émission « toute une histoire » sur France 2.

    Nous sommes actuellement en train de préparer une émission spéciale consacrée aux couples mixtes, issus de religions ou de cultures différentes, et cherchons des témoins pour ce sujet. Parce que les couples mixtes sont une richesse pour la France et un bel exemple de diversité! Nous avons décidé de faire une émission spéciale « toute une histoire » en prime time sur France 2 afin de montrer pour une fois dans les médias que la différence de culture et de religion est possible dans un couple!

    Si vous connaissez des couples franco-japonais qui ont du faire des concessions à cause de cette différence de culture, si cela a posé un problème à un moment donné pour leur entourage, ou pour l’éducation des enfants, s’il y a des tensions qui émanent de cette union, merci de me contacter par mail à olivia.reservoirprod@gmail.com ou au 01 53 84 29 52. Je vous remercie par avance, et j’espère à bientôt !

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